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« Le Covid-19 a caché les effets du Brexit »

Installé à Londres depuis plus de trente ans, l’avocat d’affaires français Olivier Morel témoigne des conséquences économiques désastreuses du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

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C’est un professeur américain qui a le premier sans doute tiré la sonnette d’alarme. Daniel Kelemen s’est livré à un véritable inventaire à la Prévert, recensant plus de mille cas de situations qui se sont dégradées au Royaume-Uni depuis le début du Brexit, en janvier dernier. « C’est mécanique, détaille Olivier Morel : l’économie britannique est totalement ouverte et a besoin d’un accès libre à une main d’œuvre fluide qui va et qui vient, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Ériger des barrières là où il n’y en avait pas, cela va forcément provoquer une diminution de l’activité. » Un organisme indépendant, l’« Office for Budget Responsibility » (OBR) à Londres estime même que le bilan du Brexit sera encore plus négatif que celui de la pandémie de Covid-19 pour l’économie du pays. Binational, Olivier Morel est établi à Londres depuis 1987. Diplômé en droit comparé à l’Université Paris Panthéon-Sorbonne, il est aujourd’hui président du comité des conseillers du commerce extérieur de la France au Royaume-Uni et avocat d’affaires. Son activité principale est d’accompagner des groupes français et étrangers dans leur croissance ici.

La main au porte-monnaie

« Ce qui est assez paradoxal, note-t-il, c’est que s’il y a de nombreux secteurs de l’économie qui vont mal, d’autres se portent très bien. Ainsi, les fusions-acquisitions de sociétés atteignent des niveaux records, aussi bien auprès des investisseurs étrangers que britanniques. Il y a une activité extrêmement solide. » Mais les signaux, même faibles, en général, ne vont pas dans le bon sens. Depuis le Brexit, le géant américain Amazon refuse ainsi tous les paiements par cartes Visa au Royaume-Uni. « L’Union européenne a des règles de limitation des frais quand on paie avec sa carte de crédit, explique Olivier Morel. Or, le Royaume-Uni est sorti de ce système et tout d’un coup, des commerçants refusent de prendre en charge ces frais supplémentaires imposés par les banques. »Pour d’autres raisons encore, beaucoup d’entreprises ont par ailleurs cessé les livraisons entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. « Avant le Brexit, on envoyait des cadeaux de fin d’année à des bons clients ou à des partenaires privilégiés, détaille le Français. Mais comme on est désormais hors du marché unique européen, la personne qui reçoit le cadeau va devoir payer des droits de douanes supplémentaires à la livraison. Ce n’est pas une bonne surprise quand vous recevez un cadeau d’entreprise et qu’on vous dit ” Au fait, il va falloir mettre la main au porte au porte monnaie ! ”

La fin du porte-avions japonais

Autre conséquence du Brexit : le Royaume-Uni a été très longtemps une plateforme et une rampe de lancement pour les groupes internationaux, américains ou chinois, pour se projeter ensuite en Europe. Depuis un an, cette logique et ce raisonnement n’ont plus court. Obsolète aussi la célèbre phrase de Jacques Calvet. Pour l’ancien patron de PSA, le Royaume-Uni n’était rien d’autre qu’« un porte-avions japonais au large des côtes européennes », une sorte de cheval de Troie. Mais ne nous y trompons pas, le Royaume-Uni reste toutefois la deuxième économie européenne, au coude à coude avec la France, tempère Olivier Morel : « On a une population pratiquement équivalente entre les deux pays avec des clients largement solvables et une économie dynamique et ouverte. On continue de voir des entreprises françaises venir à Londres. En ce moment, j’ai un client qui cherche un entrepôt pour étendre son activité au Royaume-Uni. Venir ici pour avoir accès à la clientèle britannique ne va pas cesser du jour au lendemain. » Quant aux personnes physiques, les Européens établis outre-Manche avant le Brexit ont pu s’enregistrer pour continuer à bénéficier de leur statut de résident permanent, le « settled status ». Mais tout nouvel arrivant étranger, européen ou non, a en effet besoin aujourd’hui d’un visa de travail avec un sponsor, comme aux États-Unis. « On ne peut pas simplement arriver comme ça les mains dans les poches, avance l’avocat d’affaires français. Il y a eu quelques cas assez dramatiques de gens qui sont venus en déclarant naïvement à la douane britannique qu’ils étaient là pour un entretien d’embauche et ils se sont retrouvés refoulés à la frontière. »

Main d’œuvre en souffrance

Car le gros sujet ici, en particulier pour les chefs d’entreprise français et étrangers de Londres, c’est l’accès à la main d’œuvre. « L’économie britannique, comme l’économie française, ce sont 80 % de services, rappelle Olivier Morel. La « matière première », si je parle de manière crue, ce sont les salariés. Je me souviens d’un Français qui s’occupait d’un grand groupe britannique et avait l’habitude d’aller recruter aux quatre coins de l’Europe. A un moment, il a eu besoin d’une quinzaine d’ingénieurs informatiques pour travailler sur un beau projet au Royaume-Uni. Il est allé proposer des contrats tout faits en Pologne, ce qu’il faisait régulièrement, mais la moitié lui a répondu “on ne veut pas venir dans un pays qui ne nous veut pas.” C’est dans le secteur de l’hôtellerie et la restauration que cette pénurie de main d’œuvre est la plus criante, en particulier à des postes pénibles et peu payés. « Il y avait depuis très longtemps une noria de personnels qui venait souvent des pays d’Europe de l’Est, observe Olivier Morel. Ils ne restaient pas très longtemps mais quand ils partaient, il y avait toujours des remplaçants. Or, depuis le Brexit, ce renouvellement s’est tari et fait que le secteur est bridé dans sa reprise. Les patrons des grandes chaînes hôtelières nous disent « on voudrait rouvrir mais on n’a pas la main d’œuvre suffisante pour assurer le service au niveau de nos standards. “

Le cas nord-irlandais

Mais le caillou dans la chaussure de Boris Johnson, le Premier ministre britannique, depuis le Brexit, c’est le cas singulier de l’Irlande du Nord, toujours membre de l’Union européenne mais aussi du Royaume-Uni au terme d’un accord sur un statut spécial. « De toutes les régions du pays, c’est celle qui a été le moins impactée par le Brexit, affirme Olivier Morel, ce qui n’est pas très étonnant. Dans de récentes interviews, des entrepreneurs d’Irlande du Nord avaient du mal à cacher leur joie d’être toujours dans le marché unique, de continuer à commercer avec le reste de l’Union européenne de manière libre et en même temps, d’avoir conservé l’accès au marché britannique, le meilleur des deux mondes en somme! » On le voit, la question du Brexit est éminemment politique. Le gouvernement britannique a beau marteler en boucle que le protocole séparé négocié avec l’Irlande du Nord ne fonctionne pas, économiquement, la démonstration est faite que c’est au contraire un succès.

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